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Pesticides et santé au travail : les agriculteurs et agricultrices en grand danger !

Conférence "Santé et Pesticides au travail" organisée par Claude Gruffat au Parlement européen le 25/05/2023

Hier se tenait ma conférence sur les pesticides et la santé au travail : l’occasion d’échanger sur l’(in)efficacité des équipements de protection individuelle qui sont censés protéger les agriculteurs et agricultrices de tout risque sur leur santé. Voici un retour de ces riches échanges autour de la protection et de la santé des agriculteurs.

 

Tout d’abord, un peu de contexte

 

Chaque année un travailleur agricole réalise, en moyenne, entre quinze à vingt applications de produits phytosanitaires, par conséquent il sera en contact avec plus d’une centaine de pesticides au cours de sa vie professionnelle.

Une large étude nommée Pestexpo – à laquelle Alain Garrigou, intervenant lors de la conférence, a participé – a démontré que les équipements de protection individuelle (EPI) ne permettent pas de protéger correctement les agriculteurs et agricultrices des  pesticides chimiques . Or, la recommandation de l’utilisation de ces EPI est un élément clé de l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché des pesticides.

Ce système de gestion des risques liés à l’usage des pesticides rejette la responsabilité collective, qui débute dès la mise sur le marché et même dès la conception d’une substance, sur l’agriculteur et l’agricultrice.

Stéphane Horel, journaliste au Monde, a publié une vaste enquête sur les équipements de protection individuelle dans le but de comprendre comment on en est arrivé à « une situation de protection recommandée mais pas efficace ». Comme elle l’a rappelé lors de la conférence : « L’utilisation des pesticides sans risque » est quelque chose qui n’existe pas. Enrico Somaglia, vice-secrétaire de l’EFFAT (fédération européenne des syndicats des secteurs de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme) l’a d’ailleurs rappelé : moins de pesticides est synonyme de moins de danger pour les agriculteurs et agricultrices.

En s’appuyant sur son travail d’enquête, Stéphane Horel a rappelé à l’audience que dans les années 1990, les seules évaluations de l’exposition aux pesticides étaient réalisées par l’industrie et non-accessibles au public. Depuis, l’industrie a toujours joué un grand rôle dans les recommandations d’utilisation des équipements de protection, au détriment de la protection des agricultrices et agriculteurs.

Le premier document de référence sur la protection des agriculteurs lors de la manipulation des pesticides a été publié par l’OCDE en 1997 mais ce sont des représentants de l’industrie (dont un employé de Zeneca) qui en ont rédigé le contenu. À plusieurs reprises, ces documents ont été mis à jour, mais encore avec un rôle énorme de l’industrie dans la rédaction des documents et à travers des conflits d’intérêt au sein des groupes de rédaction.

En 2014, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) remplace les vieux modèles mathématiques d’estimation des expositions aux pesticides. Comme le note Stéphane Horel, près de la moitié des membres du groupe d’experts qui a rédigé les travaux préparatoires sur lesquels s’appuie l’EFSA, sont des représentants des lobbies des pesticides : on y retrouve d’ailleurs l’employé de Zeneca déjà présent en 1997 pour rédiger les lignes directrices proposées par l’OCDE.

Mais alors, ces équipements de protection : utiles ou inutiles ?

 

Alain Garrigou, professeur et chercheur en ergonomie à l’université de Bordeaux, a souligné que dans les modèles d’évaluation de l’exposition aux pesticides, il est prévu que les équipements de protection aient une efficacité entre 90% et 95% : Une exposition de 5% à 10% est donc admise et tolérée ! On part donc déjà d’une protection supposée qui est incomplète. Mais en plus de cela, les études menées par A. Garrigou et d’autres chercheurs ont montré que l’efficacité est en fait bien moindre.

En posant des patchs sur la peau des agriculteurs et agricultrices à différentes étapes du processus de traitement (préparation, pulvérisation, nettoyage), et en les laissant faire leur travail comme à leur habitude, les chercheurs ont obtenu des résultats pour le moins étonnants.

Il en ressort que pendant la phase de préparation, les agriculteurs et agricultrices qui utilisent les équipements de protection individuels connaissent plus ou moins le même niveau de contamination que ceux qui n’utilisaient pas les équipements. Pendant la pulvérisation, ceux qui portent les équipements sont exposés à une contamination deux fois plus importante. Pire : lors de la phase de nettoyage, ceux qui portent des équipements de protections sont exposés à une contamination trois fois plus importante !

Ces résultats qui peuvent paraître contradictoires sont dus à un phénomène de « perméation » selon le chercheur : les molécules passent à travers la combinaison ou les vêtements. En plus de cela, les équipements de protection ne sont pas changés tous les jours et ne sont pas tout le temps nettoyé. L’activité d’agriculteur ne permet pas d’avoir la minutie d’un laborantin en ce qui concerne la protection face aux substances chimiques. Il est, par exemple, impensable qu’on puisse enlever sa combinaison, la laver ou en prendre une nouvelle à chaque fois que l’on remonte dans le tracteur. Et au final, l’intérieur du tracteur qui est fréquenté tous les jours sans combinaison se retrouvera contaminé.

En fait dans l’inconscient collectif, les agriculteurs et agricultrices sont protégé-e-s contre les pesticides et ne mettent pas leur santé en jeu s’ils respectent les indications. Mais les indications, comme l’avait révélé Stéphane Horel, sont grandement influencées par l’industrie. Et, pour l’industrie, le profit importe plus que  la santé des agriculteurs et agricultrices.

En plus de cela, les situations dans lesquelles les équipements de protection sont censés être efficaces à 90% ou 95% sont des situations bien éloignées de la réalité du monde agricole : on ne peut pas s’attendre à ce que dans un champ ou au volant d’engins agricoles, on puisse appliquer des méthodes de protection de laboratoire !

 

Et maintenant ?

 

Au fond, le problème fondamental ce sont les pesticides eux-mêmes, car comme l’a rappelé Alain Garrigou, chaque molécule ayant une relation différente avec les protections, il n’existe pas de protection qui protégerait de TOUS les pesticides.

Actuellement, au Parlement européen, un texte réglementaire, sur lequel je suis rapporteur pour le groupe des Verts/ALE, a pour ambition de réduire l’usage des pesticides de 50% dans toute l’Union Européenne. Ce texte va dans le bon sens, même si nous souhaiterions une ambition encore plus élevée. La sortie définitive des pesticides est l’unique solution à la chute de la biodiversité qui menace la sécurité alimentaire en Europe, mais également la seule pour protéger la santé de nos agriculteurs et agricultrices ainsi que des citoyens et citoyennes !

Toutefois, les autres partis politiques conservateurs sont hostiles à ce texte et la bataille pour enfin s’engager vers la fin des pesticides s’annonce très ardues.

Je vous tiendrai au courant de la suite de ce dossier.

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