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Invasion de l’Ukraine : quelles réponses à la crise alimentaire ?

En envahissant l’Ukraine, Vladimir Poutine ferme le robinet qui fournit près de 30% des échanges de céréales mondiaux. Il porte également un coup terrible à des années de combat pour verdir les politiques agricoles européennes. Un point sur la situation alors que le Parlement européen imagine comment palier à cette baisse de disponibilité des céréales de la Mer Noire.

La guerre en Ukraine a remis dans l’actualité la question de la sécurité alimentaire du fait de la désorganisation du marché mondial des céréales. L’Ukraine et la Russie représentent ensemble, par leurs excédents de production, 30% des échanges mondiaux de céréales. Une source vitale pour des pays fortement déficitaires comme l’Égypte, le Liban, l’Algérie et d’autres.

Face à la peur d’une pénurie alimentaire bien réelle si rien n’est fait, plusieurs États dont la présidence française, des eurodéputé.e.s et certaines organisations professionnelles ont proposé d’accroitre la production agricole européenne, remettant en question la stratégie de la ferme à la table (Farm to Fork). Une approche dénoncée par la plupart des grandes ONGs et de nombreux scientifiques qui estiment que l’heure est plutôt venue d’accélérer sur la transition agroécologique pour résoudre les problèmes mis en avant par la crise (crise de production certes, mais surtout dépendance de notre modèle aux engrais et pesticides à base de gaz russe).

Or, soyons clair, la sécurité alimentaire des européens n’est pas menacée par les conséquences de cette guerre. Une hausse des prix à la consommation est malheureusement inévitable mais ce sont les conséquences sociales qui sont à anticiper plus que la disponibilité des produits. L’Union dispose d’un volume d’approvisionnement suffisant tout comme il existe une production mondiale suffisante pour alimenter l’ensemble des êtres humains sur terre. En revanche le peuple ukrainien actuellement sous les bombes et les pays du Proche Orient et d’Afrique, très dépendants du blé de la Mer Noire pour se nourrir, sont exposés à d’importantes famines. Pour ces pays la sécurité alimentaire dépend avant tout de l’accès à l’alimentation.

La stratégie européenne de la ferme à la table est la garantie d’une plus grande sécurité alimentaire sur le moyen et le long terme avec la mise en place d’un système alimentaire sain et résilient permettant la préservation des ressources naturelles et de la capacité de production des écosystèmes. Il est essentiel qu’elle reste prioritaire, comme le groupe des verts le martèle et l’a signifié dans un récent courrier à la Commission européenne. En plus d’apporter des réponses pour soutenir la stabilité agricole et alimentaire mondiale, elle est aussi la réponse au réchauffement climatique qui a des effets négatifs sur la production agricole.

Le prix du blé, déjà haut depuis plusieurs mois, s’est littéralement envolé depuis le début de la guerre alors que nous n’avons jamais connu dans le monde et en Europe des niveaux de production aussi élevé qu’aujourd’hui.

Cette hausse a débuté en avril 2021 lorsque Poutine a pris la décision de cesser d’exporter et de stocker le blé russe, permettant au blé européen de récupérer une part du marché mondial en se défaisant de ses réserves. Ce vide a surtout bénéficié aux acteurs privés et plus particulièrement aux quelques multinationales du négoce qui en ont profité pour spéculer sans se soucier des retombées d’un manque de nourriture pour les populations les plus fragiles. Dans cette situation les États restent généralement impuissants.

Cette flambée témoigne de l’incapacité des grandes puissances à éviter tout risque de pénurie faute d’une gouvernance collective alimentaire mondiale. Elle montre aussi l’urgence d’en finir avec les règles de l’OMC qui font des denrées alimentaires des produits comme les autres, soumis à la spéculation.

L’Union européenne, qui est le troisième producteur mondial de céréales doit prendre sa part dans cette gouvernance pour mieux contribuer à l’équilibre alimentaire du monde. Elle doit participer à la constitution de stocks publics beaucoup plus important pour venir en aide et dans des conditions exceptionnelles aux pays les plus touchés. Ceci limiterait parallèlement la spéculation financière sur les actifs agricoles.

Elle doit également pousser à moins utiliser de céréales hors alimentation humaine, employées dans la production d’agro carburants ou d’aliments pour le bétail (généralement pour des élevages intensifs). Il lui faut reconsidérer son assolement. Actuellement 54% de la production européenne de céréales va dans l’alimentation animale, 12% dans l’industrie et les agro-carburants, 10% dans les exportations. Seuls les 19% restant nourrissant directement la population. Pour cela les soutiens de la PAC devraient être réorientés afin de réduire fortement notre consommation de viande. Les surfaces tournées vers les agrocarburants devraient par ailleurs être temporairement suspendues.

L’Union européenne doit par ailleurs d’urgence mieux assurer ses besoins stratégiques en protéines végétales pour ne plus dépendre des importations sud-américaines (qui détruisent l’Amazonie).

La souveraineté alimentaire européenne et mondiale ne passe donc pas par plus de chimie et de pollution qui ne sont qu’une fuite en avant vers d’autres crises à venir. Oui, à court terme il est important de compenser l’absence des céréales russes et ukrainiennes sur le marché mondial. Mais les priorités stratégiques devraient rester l’adaptation de nos régimes alimentaires, la transition agroécologique, et de la remise en cause des règles régissant le commerce des productions agricoles.

Évitons l’option de la fuite en avant chimique qui est la certitude de crises bien plus graves à venir.

 

Photo © Raimond Spekking / CC BY-SA 4.0 (via Wikimedia Commons)

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